Les confinements successifs ont entraîné la fermeture de nombreuses entreprises et ralenti l’activité de beaucoup d’autres.
Dans ce contexte économique difficile, locataires et bailleurs s’opposent sur la question du paiement des loyers commerciaux.
Certains preneurs, parmi lesquels les résidences de tourisme sont en bonne place, ont généralisé une pratique arbitraire, inique et systématique qui consiste à cesser de payer partiellement ou intégralement les loyers et charges aux propriétaires-bailleurs, en les menaçant d’un dépôt de bilan.
Pour prétendre s’exonérer du paiement des loyers et des charges dus aux bailleurs, les preneurs de locaux commerciaux invoquent pêle-mêle moult notions juridiques : la force majeure, la théorie du « fait du Prince », la destruction totale ou partielle de la chose louée, l’exception d’inexécution, etc.
Très récemment, plusieurs décisions de justice ont toutefois confirmé l’exigibilité des loyers commerciaux échus dans le contexte de l’épidémie de Covid-19.
Tribunal judiciaire de Paris, 10 juillet 2020, n°20/04516 :
Dans cette décision, le Tribunal rappelle que l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 n’a pas pour effet de suspendre le paiement des loyers et que le contrat de bail doit être exécuté de bonne foi par les parties.
En l’espèce, le preneur avait fondé sa défense sur le report de l’exigibilité des loyers de la période dite juridiquement protégée qu’il déduisait de l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020, sans avancer de moyen de défense tiré de la force majeure ni d’un quelconque manquement du bailleur à ses obligations.
Le Tribunal judiciaire rappelle ainsi que l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 n’a pas pour effet de suspendre l’exigibilité des loyers échus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020 qui est dû par le preneur.
Le Tribunal précise cependant que :
« les contrats doivent être exécutés de bonne foi, ce dont il résulte que les parties sont tenues, en cas de circonstances exceptionnelles, de vérifier si ces circonstances ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligations respectives ».
En l’occurrence, le Tribunal relève que :
le bailleur n’a pas exigé le paiement immédiat du loyer et des charges dans les conditions prévues au contrat mais a proposé un aménagement ;
le preneur n’a jamais formulé de demande claire de remise totale ou partielle des loyers et/ou charges dus, ni sollicité d’aménagement de ses obligations sur une période bien déterminée.
En considération de ces éléments, le tribunal judiciaire de Paris considère que le bailleur a exécuté ses obligations de bonne foi compte tenu des circonstances et fait droit à sa demande de paiement.
Tribunal judiciaire d’Annecy, 07 septembre 2020, n° 20/00275 :
Dans cette affaire, le Juge des référés a écarté les arguments tirés de la force majeure et de l’exception d’inexécution qui étaient soulevés par le locataire commercial, la société Ludendo Commerce France, en ces termes explicites :
« Si l’article 4 de l’ordonnance n°2020-306 du 25 mars 2020 a interdit l’exercice des voies d’exécution forcée et sanctions associées par le bailleur en vue du recouvrement des loyers commerciaux, ceux-ci restent exigibles. Il n’est nullement démontré en prenant appui sur les textes qui ont prescrit les mesures nécessaires pour faire face à l’épidémie de virus Covid-19 que ces derniers ont octroyé aux preneurs à bail commercial la gratuité de leurs loyers.
Les pièces produites aux débats par la société Ludendo Commerce France ne sont pas de nature à démontrer que l’événement concerné, soit la période de fermeture administrative, inévitable et insurmontable l’a empêché d’exécuter son engagement, à savoir son obligation de payer et ce d’autant qu’aucun élément chiffré n’est produit permettant d’établir la réalité ni l’ampleur de la perte financière évoquée et la difficulté à s’acquitter de ses obligations contractuelles.
De la même manière, si l’exception d’inexécution laquelle permet à une partir de suspendre l’exécution dès lors que la seconde partie n’exécute pas son obligation, il n’est démontré en l’espèce ni le non-respect des obligations du bailleur, la fermeture administrative imposée ne suffisant pas à démontrer que le bailleur a méconnu son obligation de délivrance et de jouissance des lieux loués ni la gravité des conséquences de l’éventuel défaut d’exécution contractuelle, aucun élément comptable récent n’étant en effet produit relatif aux difficultés de paiement des loyers évoquées.
Par conséquent, il n’est pas démontré en l’espèce de contestation sérieuse s’agissant de l’obligation de payer le loyer par la société Ludendo Commerce France et toutes les demandes sur ce fondement sont écartées ».
Tribunal judiciaire de Montpellier, 10 septembre 2020, n° 20/30974 :
Dans cette affaire, le locataire Sas Oxylio avait suspendu le paiement de ses loyers commerciaux en se retranchant derrière la force majeure.
En réponse, le bailleur, la société Ethan, faisait délivrer un commandement de payer visant la clause résolutoire, estimant que son locataire ne se trouvait pas dans une situation imprévisible, irrésistible et extérieure, caractéristique de la force majeure.
N’étant toujours pas payé après ce commandement, le bailleur décidait de saisir le Juge des référés.
Le Juge de céans ne s’est pas laissé surprendre et a repris la jurisprudence constante sur les obligations de paiement applicable en matière de force majeure [1].
Le Président du Tribunal judiciaire de Montpellier a ainsi jugé que :
« Mais, le débiteur d’une obligation contractuelle de somme d’argent inexécutée ne peut s’exonérer de cette obligation en invoquant un cas de force majeure.
Le débiteur qui pourrait offrir une solution satisfactoire pour le créancier ne peut se prévaloir de la force majeure, ce qui est le cas en l’espèce.
La société Oxylio sera donc condamnée à titre provisionnel à payer à la Sci Ethan la somme de 32 291,46 euros au titre des loyers et charges ».
Tribunal judiciaire de Paris, 26 octobre 2020, n°20/55901 et 20/53713 :
Dans ces deux ordonnances, le Juge des référés du Tribunal judiciaire de Paris :
reprend la motivation du jugement rendu par le Tribunal judiciaire de Paris le 10 juillet 2020 concernant l’absence de suspension des loyers et l’exécution du bail de bonne foi ;
ajoute que le moyen tiré de la force majeure est inopérant car il s’agit d’une obligation de somme d’argent ;
précise que le contexte sanitaire ne saurait générer en lui-même un manquement à l’obligation de délivrance du bailleur.
Tribunal de commerce de Lyon, 17 novembre 2020, Aff. n° 2020J00420 :
La demande de suspension totale ou partielle des loyers n’est pas fondée et les loyers sont dus en totalité, malgré la fermeture administrative du commerce, dès lors que l’exception d’inexécution n’est pas opposable au bailleur et que les conditions de la force majeure ne sont pas remplies, le locataire devant prendre l’initiative de négocier.
Plus précisément, le tribunal de commerce a précisé que :
l’exception d’inexécution n’est pas opposable au bailleur, la fermeture administrative n’étant pas en lien avec un manquement du bailleur qui aurait rendu le local inexploitable au regard de l’activité prévue au bail ;
aucune des deux parties ne peut se prévaloir de la force majeure, les trois conditions cumulatives nécessaires n’étant pas réunies.
Le locataire ne démontre pas, en effet, une insuffisance de trésorerie qui l’empêcherait d’exécuter son obligation de débiteur, à savoir le paiement du loyer.
En outre, la mise en place d’un fonds de solidarité et de mesures pour reporter ou étaler le paiement des loyers pour une catégorie d’entreprises exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences de la propagation de Covid-19, démontre que le législateur ne reconnait pas le caractère de force majeure à la pandémie ; les entreprises ne relevant pas de ce fond doivent donc, de leur propre initiative, négocier avec leur bailleur un aménagement pour le règlement des loyers.
L’arrêt rendu sur le fond par la Cour d’appel de Grenoble, 5 novembre 2020, n° 16/0453 :
Dans cet arrêt rendu sur le fond, la Cour d’appel de Grenoble rejette les moyens tirés de l’exception d’exécution et de la force majeure et fait droit à la demande de paiement formulée par le bailleur.
Plus précisément, la Cour d’appel de Grenoble :
rejette le moyen tiré de l’exception d’inexécution en précisant que « le bail commercial n’a pas subordonné le paiement des loyers à une occupation particulière des locaux ni à aucun taux de remplissage » ;
rejette le moyen tiré de la force majeure, au motif que :
« Il n’est pas justifié par l’intimée de difficultés de trésorerie rendant impossible l’exécution de son obligation de payer les loyers. Cette épidémie n’a pas ainsi de conséquences irrésistibles.
En outre, si la résidence dans laquelle se trouvent les lots donnés à bail constitue bien une résidence de tourisme définie par l’article R321-1 du Code du tourisme, ainsi que l’a rappelé le bail commercial dans son exposé, l’article 10 du décret du 11 mai 2020 modifié le 20 mai 2020, tout en interdisant l’accueil du public dans les résidences de tourisme, a prévu une dérogation concernant les personnes qui y élisent domicile, de sorte que toute activité n’a pas été interdite à l’intimée, laquelle ne produit aucun élément permettant de constater que l’activité qu’elle exerce ne correspond qu’à la location de locaux d’habitation proposés à une clientèle touristique qui n’y élit pas domicile, pour une occupation à la journée, à la semaine ou au mois, comme prévu à l’article R321-1 précité. Ce moyen ne peut qu’être rejeté ».
Cour d’appel de Lyon, 8ème chambre, 31 mars 2021, n° 20/05237 :
1- Sur la force majeure.
Selon l’article 1148 du Code civil ancien, il n’y a lieu à aucun dommage et intérêts lorsque par suite d’une force majeure, le débiteur a été empêché de donner ou de faire ce à quoi il s’était obligé, ou a fait ce qui lui était interdit.
Il s’en déduit que la force majeure, évènement extérieur, imprévisible et irrésistible, est de nature à dispenser le débiteur de son obligation.
En l’espèce, si l’épidémie de Covid-19 est un évènement par essence imprévisible, il ne peut être considéré comme un évènement irrésistible, rendant manifestement impossible toute possibilité d’exécution, dès lors que l’obligation concernée est de nature pécuniaire, qu’elle est toujours susceptible, par sa nature d’être exécutée, de simples difficultés d’exécution provisoires, dues en l’occurrence non à l’épidémie elle-même mais aux mesures administratives prises pour la contenir, n’étant pas de nature à caractériser une irrésistibilité.
Il en résulte que la cause d’exonération en raison d’un cas de force majeure invoquée par la Sasu Fond Rose ne constitue pas une contestation sérieuse.
(…)
2- Sur la perte temporaire de la chose louée.
Aux termes de l’article 1722 du Code civil, si pendant la durée du bail, la chose louée est détruite en totalité ou en partie par cas fortuit, le bail est résilié de plein droit. Si elle n’est détruite qu’en partie, le preneur peut, suivant les circonstances, demander ou une diminution du prix, ou la résiliation même du bail. Dans l’un et l’autre cas, il n’y a lieu à aucun dédommagement.
En l’espèce, le bien loué n’a été aucunement détruit, que ce soit en totalité et en partie, l’impossibilité d’exploitation ne pouvant aucunement être assimilée à une destruction, sauf à détourner de leur sens les dispositions précitées.
En outre, il ressort des pièces versées aux débats que la Sasu Fond Rose, durant la période de confinement, a totalement rénové les terrasses et l’intérieur d’une partie des locaux loués.
Il en résulte que la cause d’exonération pour destruction des locaux loués invoquée par la Sasu Fond Rose ne constitue pas une contestation sérieuse.
3- Sur l’exception d’inexécution.
La théorie jurisprudentielle de l’exception d’inexécution, par la suite consacrée par les dispositions des articles 1219 et 1220 du Code civil, autorise le preneur à ne pas exécuter ses obligations dès lors que le bailleur n’exécute pas les siennes, étant observé que seule une inexécution grave est susceptible de la légitimer.
En l’espèce, il convient de rappeler, de nouveau, que le preneur est bien en possession des locaux loués, qu’il les a occupés et les occupe, y compris pendant la période de confinement puisque durant cette période il a effectué des rénovations.
Il apparaît donc que le bailleur a bien exécuté son obligation de délivrance.
En outre, l’impossibilité temporaire d’exploitation ne résulte que de décisions politiques sur lesquelles le bailleur n’a aucune prise, celui-ci n’étant aucunement impliqué par une impossibilité temporaire d’exploitation qui ne résulte aucunement de son fait.
Il en résulte que la cause d’exonération au titre de l’exception d’inexécution ne constitue pas une contestation sérieuse.
En conclusion, c’est à raison que le premier juge a retenu qu’aucune des causes d’exonération dont se prévalait la Sasu Fond Rose pour justifier son absence de paiement des loyers ne constituait une contestation sérieuse.
La Cour d’appel de Versailles a rendu le 6 mai 2021, 12e ch., 6 mai 2021, n°19/08848, un arrêt important, même s’il intervient dans le contexte particulier d’une procédure collective :
Ce n’est pas tant par le rejet de la force majeure, inapplicable à « une obligation contractuelle de sommes d’argent », dit la Cour, ou par celui de l’exception d’inexécution, « la délivrance du local par le bailleur n’étant pas contestée et l’impossibilité d’exploitation étant sans lien avec le local lui-même » que cet arrêt se distingue.
Non, si cet arrêt est remarquable, c’est en ce qu’il écarte le jeu de l’article 1722 du Code civil, qui prévoit la destruction en totalité ou partiellement de la chose louée pendant la durée du bail aux motifs qu’
« il n’est pas contesté qu’en l’espèce le bien loué n’est détruit ni partiellement ni totalement ; il n’est pas davantage allégué qu’il souffrirait d’une non-conformité, l’impossibilité d’exploiter du fait de l’état d’urgence sanitaire s’expliquant par l’activité économique qui y est développée et non par les locaux, soit la chose louée en elle-même. L’impossibilité d’exploiter durant l’état d’urgence sanitaire est de plus limitée dans le temps, ce que ne prévoit pas l’article 1722 du Code civil, lequel ne saurait être appliqué en l’espèce ».
Ainsi, les juges d’appel rendent une décision qui fera date, car très motivée et en opposition complète avec les dernières décisions, en référé ou devant le juge de l’exécution, rendues sur le moyen de la perte de la chose louée.
Cour d’appel de Paris, 3 juin 2021, n° 21/01679 [2] :
Perte de la chose louée : le régime spécial issu des ordonnances du 25 mars 2020 démontre que le législateur a pris en compte les conséquences pour les locataires et bailleurs de la fermeture des commerces pendant la durée de l’état d’urgence sanitaire, excluant de ce fait l’application à cette situation de l’art. 1722 C. civ.
Exception d’inexécution : en l’absence de clause en ce sens, pas d’obligation du bailleur de garantir la commercialité des locaux.
Force majeure : le locataire ne prouve pas qu’il était dans l’impossibilité de payer son loyer.
Bonne foi : le bailleur établit avoir fait des propositions d’échelonnement ou de report du loyer ; le preneur ne justifie pas avoir mis en œuvre des activités de livraison ou de retrait de commande pendant la période litigieuse.
Dans l’incertitude, le maître mot reste, comme toujours en gestion de patrimoine, un certain pragmatisme.
Certains bailleurs pourront envisager en cas de cessation totale d’activité une résiliation amiable avec la possibilité de reprise de locaux qu’ils souhaitent valoriser, ou auront au contraire intérêt à aider leur locataire à maintenir une activité en convenant d’échéanciers de règlement adaptés.